La Revue du M.A.U.S.S.
(Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales)

 La Bibliothèque du M.A.U.S.S. (5/5) :
ROSPABÉ Philippe, 1995, La dette de vie. Aux origines de la monnaie.
TAROT Camille, 1999, De Durkheim à Mauss, l’invention du symbolique. Sociologie et sciences des religions.
VANDENBERGHE Frédéric, Une histoire critique de la sociologie allemande. Aliénation et réification.
— t.1, 1997, Mars, Simmel, Weber, Lukacs.
— t.2, 1998, Horkheimer, Adorno, Marcuse, Habermas.
VATIN François, 2005, Trois essais sur la genèse de la pensée sociologique

La Dette de vie
Aux origines de la monnaie
Philippe ROSPABÉ,
254 p., 24,24 euros
ISBN 2-7071-2497-4

     Rien n’est plus important aux yeux des sociétés modernes que l’argent. Et pourtant nous ignorons à peu près tout de ses origines et de ses significations. Nous croyons savoir qu’il a été inventé en vue de faciliter les échanges économiques de biens utiles, auparavant fondés sur le troc. Cette représentation, partagée par nombre de spécialistes, est pourtant, comme le démontre ce livre novateur, radicalement fausse.
     Dans les sociétés sauvages et archaïques, la monnaie existe sous forme de biens précieux dénombrables, mais elle ne permet pas d’acheter — et notamment pas des biens puisque ceux-ci ne sont pas vendus mais donnés. Elle permet seulement de s’acquitter d’une dette de vie qui, pourtant, ne peut jamais être abolie. Ces monnaies archaïques, explique Philippe Rospabé, sont données comme substitut de vie, à titre de gage par lequel les donneurs de biens s’engagent à rendre une vie pour celle qu’ils ont prise à un autre groupe. Pour les sociétés archaïques, la monnaie, c’est la vie : par le versement du « prix de la fiancée », elle salue le don d’une femme porteuse de vie donnée en mariage ; par le « prix du sang », elle compense la mort qu’on a infligée.
     On mesure les implications multiples de cette analyse rigoureuse de certaines des institutions clés des sociétés sauvages, appuyée notamment sur une lecture exhaustive du matériau ethnographique récent consacré à la Nouvelle-Guinée. Ce livre passionnera autant les économistes que les ethnologues, les sociologues que les philosophes.

Philippe Rospabé, né à Boulogne-Billancourt en 1946, est agrégé de sciences sociales, docteur ès sciences économiques et maître de conférences à l’IUT de Laval (université du Maine). Il est un collaborateur régulier de La Revue du M.A.U.S.S. semestrielle. La Dette de vie, issue d’une thèse d’économie, qui résume des années de recherche sur ce terrain mal connu, est son premier livre.


De Durkheim à Mauss, l’invention du symbolique
Sociologie et sciences des religions
Camille TAROT, 720 p., 245 F, 37,35 euros

     S'il fallait résumer d'un mot ce qui fait le propre de la pensée française vivante du XXe, siècle, on devrait dire, à coup sûr, qu'elle a été, qu'elle est encore une pensée du symbolique. Qu'on pense simplement à l'analyse par Claude Lévi-Strauss de la « fonction symbolique » ou à l'opposition établie par Jacques Lacan entre le réel, l'imaginaire et le symbolique. Or, montre ici de façon lumineuse Camille Tarot, c'est dans le creuset de l'École sociologique française que l'acception moderne du terme a été forgée, et c'est grâce à la lente et subtile évolution que Marcel Mauss a fait subir aux analyses durkheimiennes du sacré, de la religion et des représentations collectives, qu'il en est venu à prendre toute sa portée.
     C'est l'histoire passionnante de cette invention du concept de symbolique que nous livre le présent ouvrage, dans un style à la fois limpide et époustouflant. Au-delà d'une reconstitution sans précédent de la pensée des deux plus grands représentants de l'École, Durkheim et Mauss, elle nous offre, en prime, une histoire de l'ethnologie, des sciences du langage et des sciences de la religion jusqu'au premier tiers du XXe siècle. Ainsi des liens intelligibles sont-ils à nouveau établis entre la pensée française des cinquante dernières années et ce qui l'a précédé. Et peu à peu, on se prend à rêver d'une reprise du dialogue entre philosophes, ethnologues, psychanalystes, sociologues, spécialistes de la littérature ou de la religion, qui trouveront tous ici également matière à nourrir leurs réflexions. Car ce que C. Tarot nous restitue comme s'il y était, comme si nous y étions, c'est l'exceptionnel travail collectif de la pensée accompli au jour le jour par et autour de Durkheim et Mauss. Avec modestie et avec ambition. Avec rigueur mais avec passion. Un livre capital pour la compréhension de l'histoire des idées.

« Un livre qui, à coup sûr, fera date. » Danièle Hervieu-Léger
Camille TAROT, 56 ans, après des études de théologie et un doctorat de lettres (3e cycle) à obtenu en 1994 un doctorat de sociologie. Grand voyageur, polyglotte, spécialiste d'histoire des religions, il est actuellement maître de conférences de sociologie à l'université de Caen.


Une histoire critique de la sociologie allemande
Aliénation et réification
T. I, 1997, Marx, Simmel, Weber, Lukacs
Frédéric VANDENBERGHE,
296 p., 180 F, 27,44 euros
T. II, 1998, Horkheimer, Adorno, Marcuse, Habermas
Frédéric VANDENBERGHE,
384 p., 220 F, 33,54 euros

     Une histoire critique de la sociologie allemande ? Autant dire une histoire qui touche au cœur théorique de la sociologie mondiale, et qui concerne au plus haut point, également, la philosophie du XXe siècle. Le coup de génie de F. Vandenberghe est de montrer comment des théories et des questionnements en apparence disparates s’organisent en fait, depuis Hegel, à partir d’une même réflexion critique sur la réification, ou encore la chosification (Verdinglichung), que la modernité est censée faire subir aux individus. C’est sur le terrain de cette thématique centrale que naissent et s’entrecroisent, indissociablement, théories scientifiques, dénonciations apocalyptiques et épistémologies profondes.
     Car, paradoxalement, ne faut-il pas que l’individu soit réifié, écrasé par une société objectivée, pour qu’individu et société puissent devenir objets d’une science objective ? D’où le tragique d’une pensée allemande, déchirée entre son aspiration à une liberté individuelle authentique et une passion pour la science, qui ne peuvent qu’apparaître antinomiques aussi longtemps, estime l’auteur, qu’il n’est pas rompu avec la pensée reçue de la réification.
     En raison de sa clarté et de la légèreté du style, le livre de F. Vandenberghe sera pour les étudiants un guide précieux à travers des pensées complexes mais essentielles : les pensées qui ont fait notre temps. Mais le spécialiste y trouvera aussi, outre une contribution de premier plan à l’épistémologie de la sociologie, la plus riche introduction qui soit aux discussions théoriques et métathéoriques qui animent aujourd’hui la sociologie mondiale. Premier pas vers une déprovincialisation de la sociologie française ?
     Dans le second tome, on trouvera la présentation la plus systématique en français de l’École de Francfort et de l’œuvre de Jürgen Habermas, incompréhensible si on ne la replace pas dans cette modernité..

Né en 1966 à Courtrai, en Belgique flamande, Frédéric VANDENBERGHE a travaillé en Allemagne avec J. Habermas, en Angleterre avec A. Giddens, aux États-Unis avec Jeffrey Alexander et en France, où il a rédigé cette histoire, avec Jean-Marc Ferry et Alain Touraine. Après avoir été Jean Monnet Fellow à l’Institut universitaire européen de Florence, il enseigne actuellement à l’université Brunel à Londres.


Trois essais sur la genèse de la pensée sociologique
Politique, épistémologie et cosmologie
François VATIN,
288 p., 23 euros
ISBN 2-7071-4512-2

     Pourquoi l’émergence, au XIXe siècle, d’une pensée « sociologique » est-elle somme toute si récente ? Comment est-on passé d’une approche normative de la conduite de l’homme avec ses congénères, incarnée par le discours religieux, mais aussi, à certains égards, par l’économie politique, au projet d’une science positive du social ?
     Les essais rassemblés ici dégagent trois axes de la genèse de la sociologie. Le premier, le mieux connu, est politique : il inscrit la sociologie en opposition avec une autre science sociale qui lui préexistait, l’économie politique. Le deuxième est épistémologique : il vise à déterminer un objet propre à la sociologie, le « social » ; le moment organiciste de la sociologie, si décrié, est toujours vivace aujourd’hui, sous les traits de l’opposition entre holisme et individualisme méthodologique. Le troisième est cosmologique : la genèse d’une science du social n’est concevable que dans une société qui a pris conscience de la finitude de l’espace et du temps de l’humanité.
     On trouvera dans ces pages une manière originale et particulièrement éclairante de cheminer à travers l’histoire de la sociologie : non par l’étude des « grands auteurs » et de leur système, ni en imposant une grille de lecture préconçue, mais en suivant pas à pas, avec une érudition jamais ennuyeuse – joyeuse, au contraire –, les mille et une efflorescences de quelques grands débats qui ont traversé le XIXe siècle et qui sont encore les nôtres.

François VATIN, professeur de sociologie à l’université de Paris-X-Nanterre, où il dirige les études interdisciplinaires d’économie, sociologie et histoire (dites d’humanités modernes), est l’auteur de nombreux ouvrages et articles de sociologie du travail et d’histoire des sciences sociales.