La Revue du M.A.U.S.S.
(Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales)
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  Actualité du M.A.U.S.S. : les titres
  • « La méthode syllabique est-elle réactionnaire ? »
  • Les États-Unis et la justification de la torture
  • A propos de « La France injuste. Pourquoi le modèle social français ne fonctionne plus », de Timothy B. Smith
  • Réunions-débats de la Revue du MAUSS
  • Pour un oui, pour un non...
  • Plaidoyer pour une république européenne
  • La Turquie à l'épreuve du « terrorisme islamiste » ?
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  • Un autre monde moins injuste est-il possible ?
  • Lettre ouverte à Alain de Benoist précisant une fois pour toutes que le MAUSS n'a rien à voir avec la Nouvelle Droite
  •  • Lettre ouverte à Alain de Benoist précisant une fois pour toutes que le MAUSS n'a rien à voir avec la Nouvelle Droite


    LETTRE OUVERTE À ALAIN DE BENOIST,
    Précisant une fois pour toutes que le MAUSS n’a rien à voir avec la Nouvelle Droite…

    Par Alain Caillé

            Monsieur

            La Revue du MAUSS vous a ouvert ses pages en 1991, dans le n° 13 de la Revue trimestrielle, intitulé « Droite ? Gauche ? », dans lequel nous interrogions plusieurs directeurs de revue (Olivier Mongin, Michel Maffesoli, Edgar Morin, Jean-Marie Vincent, Jacques Bidet, etc.) sur la signification qu’ils attribuaient à cette opposition. Il y fallait un peu de courage. Je n’ai jamais douté que l’ouverture que nous vous ménagions ainsi nous vaudrait les suspicions et les anathèmes des bien-pensants ou vigilants de tout poil ; ainsi que quelques ennuis. Mes prévisions ont été amplement confirmées.
            Je ne regrette pourtant pas un seul instant la décision prise alors. Je suis pour ma part allergique à toutes les censures et reste persuadé que le seul moyen d’affronter un adversaire est d’entendre ses raisons et de se donner les moyens de les réfuter. Toute autre attitude relève de la lâcheté morale et intellectuelle. Et voue à l’impuissance. Dès lors que vous étiez prêt à argumenter et à mobiliser à cet effet l’érudition et le brio que personne ne vous conteste, j’aurais été curieux de vous entendre même si vous aviez professé des opinions réactionnaires, anti-démocratiques, voire fascisantes ou racistes. Histoire de savoir à qui et à quoi on a affaire.
            Mais, dans votre cas, les choses se présentaient de façon infiniment plus complexe. Ancien militant des groupes d’extrême droite qui militaient pour l’Algérie française, vous vous réclamiez désormais d’une Nouvelle Droite ayant abjuré des pans entiers de ses doctrines anciennes. Vous aviez été raciste ; mais vous ne l’étiez plus. Mieux, dans votre revue Krisis, d’excellente facture, la quasi-totalité des auteurs que vous publiiez était de gauche ou d’extrême gauche. Et vous-même professiez des opinions difficilement classables à droite, souvent en écho avec des articles publiés dans La Revue du MAUSS : critique de l’idéologie du travail, de l’ « occidentalisation du monde » dénoncée par notre ami Serge Latouche –, plaidoyer pour un revenu de citoyenneté ou pour une démocratie radicale, critique de l’utilitarisme et de l’axiomatique de l’intérêt, etc. Il était donc important pour nous, issus de la gauche et continuant à nous inscrire dans son orbe, de comprendre quel usage il pouvait être fait de nos idées à droite et de rendre claire et intelligible la démarcation entre un anti-utilitarisme de droite (extrême de surcroît) et un anti-utilitarisme de gauche.
            C’était aussi pour vous, si vous le désiriez, une occasion rêvée de tirer un trait sur un passé que vous disiez avoir rejeté et de clarifier la discussion. Ce n’est pas la voie que vous avez choisie. Dans votre article, brillant, vous nous avez expliqué que cette opposition droite/gauche n’avait plus de sens, que vous vous débarrasseriez donc volontiers de l’étiquette de la Nouvelle Droite, mais que vous continuiez à fréquenter – et en fait, ce que vous ne disiez guère, à rester l’animateur principal d’Éléments et de Grèce-Nouvelle École, les organes de la Nouvelle Droite – juste comme ça, histoire de ne pas perdre de vue de vieux copains dont vous ne partagiez plus les idées mais auxquels vous restiez attaché par des liens affectifs. Je constate que ces liens sont bien solides, puisque vos réseaux qui se réclament de la Nouvelle Droite sont toujours en place.
            J’ai cru longtemps qu’il n’y avait dans tout ceci, chez vous, qu’une sorte de jeu, un plaisir à jouer les non-conformistes qui ne tirait pas beaucoup à conséquence. Et il y eut quelque chose d’extravagant à voir en 1993 quarante chercheurs de l’EHESS, de notoriété mondiale, associés à des rédacteurs du journal Le Monde, lancer contre vous et contre les auteurs publiés dans Krisis, une chasse aux sorcières qu’on croyait d’un autre âge. Plutôt que d’essayer de réfléchir aux raisons de la montée électorale du lepénisme – lepénisme par ailleurs dénoncé par vous –, l’appel des vigilants entendait mobiliser les larges masses intellectuelles à la fois contre vous – qui représentez 0 % du corps électoral – et contre Pierre-André Taguieff, coupable d’être passé de la dénonciation de la Nouvelle droite à la discussion critique. Hors de l’anathème et de la chasse en meute, point de salut !
            J’ai pourtant décidé à cette époque de mettre un terme à tout débat avec vous. Non pour crier avec les loups, mais parce que j’ai peu apprécié de découvrir que dans le Who’s who, vous vous faisiez passer pour membre du MAUSS, ainsi associé à quelques groupes folkloriques, dont j’ai oublié le nom mais qui fleuraient désagréablement le culte d’un indo-européanisme d’assez fâcheuse mémoire. Dans le n° 14 de La Revue du MAUSS trimestrielle, répondant à votre article, j’avais insisté sur le fait que ces relents d’aryenisme cadraient mal avec votre apparente conversion aux théorisations historicistes de gauche et qu’en revanche, ils formaient trop bien système avec votre condamnation maintenue de l’idéal de l’égalité et avec une valorisation toute schmittienne de la démocratie radicale, entendue comme fusion des dirigeants et des dirigés. Or, accepter la démocratie de manière effective, c’est accepter le fait que toute société est divisée, à commencer par la division des dirigeants et des dirigés.
            Mais, encore une fois, je n’attribuais pas beaucoup d’importance à ces résurgences de la Révolution conservatrice allemande. Mais pourquoi y rester si attaché ? Pourquoi entretenir ces réseaux ? Pourquoi ces manœuvres permanentes pour afficher une respectabilité intellectuelle ? C’est Joël Roucloux, jeune écrivain belge, qui, en m’envoyant il y a quelques années le manuscrit d’un livre inédit sur la Nouvelle Droite, P.A. Taguieff et l’affaire des vigilants, m’a convaincu que votre attitude serait des plus étranges si elle devait se résumer à un jeu et m’a fait observer, dix ans après vos proclamations sur l’inanité des catégories droite/gauche, que vous n’aviez toujours pas rompu avec la Nouvelle Droite.
            Or, vous avez tout récemment réitéré, à plus grande échelle, votre tentative de faire croire à une proximité ou une connivence entre la Nouvelle Droite et le MAUSS. C’est ainsi que m’apprêtant fin octobre 2003 à aller en Italie pour rencontrer des sympathisants italiens du MAUSS, je lis avec stupeur dans le dernier numéro de votre revue Éléments (que vous avez l’obligeance de me faire servir) qu’un MAUSS italien est quasiment déjà formé et qu’un site Internet sera bientôt ouvert. L’entrefilet indique même les noms des animateurs dont il est sous-entendu qu’ils formeront le futur bureau. Le tout est présenté dans des conditions telles que tout lecteur comprend que ce MAUSS italien est compagnon de route de la Nouvelle Droite.
            Je dois sans doute vous remercier d’avoir ainsi attiré mon attention sur les dangers de certaines sympathies transalpines un peu trop chaudes pour le MAUSS. Je n’ai pas pu déterminer qui manipule qui dans cette histoire, mais il est en tout cas clair qu’il n’y aura pas de MAUSS italien dans ces conditions. Et d’ailleurs, pourquoi un MAUSS italien, alors que le MAUSS est déjà international ?
            Dois-je également vous remercier de continuer à attirer mon attention sur vos pratiques étranges ? Des jeunes amis du MAUSS m’ont signalé récemment que le site des « Amis d’Alain de Benoist » renvoie à une dizaine de sites considérés comme amis, dont le site de La Revue du MAUSS. Là encore, je trouve cet amour bien intempestif. Et je trouve, enfin, intriguant le fait que sur le site de la revue GRECE-Nouvelle École, vous indiquiez que « Serge Latouche et ses amis du MAUSS » poursuivent leur important travail de recherche, comme si ce travail était lié à celui du GRECE. Et moi qui croyais être le directeur de La Revue du MAUSS ! Dois-je comprendre que vous m’avertissez ainsi qu’un coup d’État est en préparation au sein du MAUSS qui viserait à mettre en place un nouveau pape anti-utilitariste ?
            Encore heureux que je ne sois pas paranoïaque. Vous en viendriez presque à me faire soupçonner mon ami Serge de visées peu avouables. Je ne le soupçonne évidemment d’aucune menée de la sorte. Vos menées à vous, en revanche, deviennent importunes. Je vous serais donc reconnaissant de bien vouloir porter ce courrier à la connaissance des lecteurs d’Éléments et de Grèce-Nouvelle École. Je vous ai donné la parole autrefois. Il est temps maintenant, je crois, de me la rendre pour établir une fois pour toutes et publiquement qu’il n’existe aucun rapport entre le MAUSS et la Nouvelle Droite.

    Alain Caillé, directeur de
    La Revue du MAUSS