La Revue du M.A.U.S.S.
(Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales)

 La Bibliothèque du M.A.U.S.S. (2/5) :
DOUGLAS Mary, 1999, Comment pensent les institutions, suivi de Il n’y a pas de don gratuit , et La Connaissance de soi.
DUCLOS Denis, 2002, Société-monde, le temps des ruptures
FEENBERG Andrew, 2004, (Re)penser la technique. Vers une technologie démocratique
FREITAG Michel, 1996, Le Naufrage de l’Université et autres essais d’épistémologie politique.
GEFFROY Laurent, 2002, Garantir le revenu
 

Comment pensent les institutions
suivi de Il n’y a pas de don gratuit et La Connaissance de soi
Mary DOUGLAS,
180 p., 145 F, 22,11 euros

     Les institutions pensent-elles ? Et, si oui, comment font-elles ? Ont-elles un esprit en propre ? Dans ce livre, Mary Douglas prend à bras-le-corps toutes ces questions pour jeter les bases d’une théorie des institutions. On explique d’ordinaire le raisonnement humain par les propriétés de la pensée individuelle. Mary Douglas se focalise, elle, sur la culture et nous entraîne dans un parcours provocateur et passionné, placé sous le double patronage de la sociologie d’Émile Durkheim et de la philosophie des sciences de Ludwik Fleck. D’où il ressort que nous aurions tort de croire que seule la pensée des peuples primitifs serait modelée par les institutions, tandis que notre modernité, elle, verrait advenir une pensée véritablement individuelle. Les questions essentielles, les décisions de vie ou de mort par exemple, ne peuvent jamais être résolues à un niveau purement individuel.
     Avec le présent livre, qu’elle considère comme une « introduction après coup » à son célèbre De la souillure, Mary Douglas se place directement au cœur du débat épistémologique central des sciences sociales, grâce à une critique croisée de l’individualisme méthodologique et du holisme. En se fondant notamment sur une discussion magistrale du théorème du passager clandestin (free rider), elle rejoint ainsi à la fois le programme de recherche conventionnaliste et la sociologie des sciences en leur apportant le secours d’un éclairage durkheimien lucidement reconsidéré. Cet ouvrage est suivi de l’introduction à la traduction anglaise du fameux Essai sur le don de Marcel Mauss et d’un texte sur l’identité du moi (« La connaissance de soi »), qui ont déjà fait du bruit en France et à l’étranger.

Mary DOUGLAS, anthropologue, a enseigné aux universités de Londres, Columbia, Northwestern et Princeton. Ses travaux d’africaniste lui ont valu la Memorial Medal du Royal Institute. Elle a publié une quinzaine d’ouvrages, dont De la souillure (Maspero, 1971 ; La Découverte, 1992), un des classiques de l’anthropologie, et d’autres titres consacrés à la logique des catégories de pensée (Natural Symbols, 1970 ; Implicit Meanings, 1975), au rapport de nos sociétés au risque (Risk and Culture, avec Aaron Wildavski, 1982) ou à la consommation (The World of Goods, avec Baron Isherwood, 1979).
     Traduit de l’anglais par Anne Abeillé.


Société-monde, le temps des ruptures
par Denis Duclos, 256 p., 131,19 F, 20 euros

     Depuis le 11 septembre 2001, on ne peut plus douter qu'existe, au moins négativement, une société-monde, dans laquelle nous nous retrouvons tributaires d'interdépendances multiples et complexes. Même là où s'accumule la puissance extrême, personne n'est plus à l'abri des coups susceptibles d'être portés à partir des zones les plus deshéritées. Le temps des ruptures semble ainsi venu.
     La constitution d'une hyperbourgeoisie, affranchie de ses attaches nationales d'hier, s'effectue au détriment du pluralisme et dans l'affirmation d'un mépris croissant envers les « exclus » ou les « inférieurs ». Elle entraîne une série de renversements paradoxaux de nos catégories politiques : le « progrès » devient inséparable de la montée des inégalités et la mondialisation universaliste synonyme de guerre civile. Au-delà des crispations identitaires classiques, on sent se développer un processus de sectarisation de la société et croître un pessimisme anthropologique travaillé par un désir de mort, véritable part obscure de l'angélisme « mondialitaire ».
     Ce sont toutes ces lignes de fracture qu'examine Denis Duclos dans cet essai qui synthétise ses analyses publiées dans Le Monde diplomatique, et qui explore les conditions de possibilité d'un renversement de ces tendances mortifères.
     
DENIS DUCLOS, sociologue et romancier, directeur de recherches au CNRS, collaborateur du Monde diplomatique et de la Revue du MAUSS, est l'auteur de nombreux ouvrages dont De la civilité, ou comment les sociétés apprivoisent la puissance (La Découverte, 1993), Le Complexe du loup-garou : la fascination de la violence dans la culture américaine (La Découverte, 1994 ; Pocket-Agora, 1998), Nature et Démocratie des passions (PUF, 1997).


(Re)penser la technique
Vers une technologie démocratique
par Andrew Feenberg, traduit de l'anglais par Anne-Marie Dibon, 240 p., 20 euros
Télécharger la version numérique gratuite
ISBN 2-7071-4147-X

     Jusqu’où devons-nous pousser la technicisation de la société, des produits, des esprits et des corps ? Curieusement, c’est au moment où cette question se fait chaque jour plus pressante que les moyens théoriques de la formuler avec rigueur manquent le plus. Le débat philosophique sur la technique qui a fait rage autour de Heidegger, Ellul et Habermas, est resté sans conclusion. Parce qu’en posant le monde de la technique comme radicalement externe au monde social, ces philosophies nous laissaient impuissants.
     Ces vingt dernières années, la posture constructiviste a pris le relais, proposant maintes analyses brillantes de la construction sociale et historique de telle ou telle réalisation technologique. Mais ces approches répondent rarement à la question générale et principale : quelle place accorder à la technique dans une société démocratique ? Dans ce contexte, la philosophie antiessentialiste défendue par Andrew Feenberg se révèle d’une importance décisive. La démonstration que toute technologie incorpore la définition de ses usages sociaux possibles permet de sortir de l’opposition stérile entre enthousiasme technophile naïf et catastrophisme technophobe. En montrant comment l’intervention des usagers ou des citoyens a modifié en profondeur certains protocoles technologiques – de la bicyclette aux réseaux on line en passant par le traitement du sida –, A. Feenberg dessine la perspective crédible d’un contrôle démocratique des nouvelles technologies.
     Ce livre – que beaucoup jugent décisif outre-Atlantique – contribuera à remettre certaines discussions aujourd’hui vitales sur de bons rails. Outre les chercheurs et philosophes du domaine, il passionnera tous ceux qui ne se résignent pas au fatalisme technologique.
     
ANDREW FEENBERG, pionnier dans la mise au point des réseaux pédagogiques de communication on line, professeur de philosophie à la San Diego State University, est actuellement titulaire de la prestigieuse Canadian Research Chair in Philosophy of Technology à la School of Communication de la Simon Fraser University.


Le Naufrage de l’Université
et autres essais d’épistémologie politique
Michel FREITAG,
302 p., 175 F, 26,68 euros

     Il n’est peut-être pas de réforme plus urgente que celle de l’Université. Mais pas de réforme non plus qui semble aussi irrémédiablement vouée à l’échec. N’est-ce pas là l’effet du profond fossé qui s’est creusé entre l’idéal sur lequel s’est édifié l’Université et sa réalité actuelle ? L’idéal était celui d’un lieu délivrant une culture désintéressée et un savoir ayant valeur universelle. La réalité est aujourd’hui celle d’un savoir « utilitaire », dont on ne retient que l’efficacité pragmatique. S’abolit ainsi la différence entre science et technique, nature et société, être et devoir être. Si l’on veut une vraie réforme de l’Université, on ne fera donc pas l’économie d’une réflexion épistémologique approfondie sur cet écart béant entre l’idéal et la réalité.
     Tel est le propos de cet ouvrage, où l’auteur analyse le mécanisme de cette confusion du pouvoir et du savoir dans le savoir-faire. Les essais ici réunis visent à susciter une prise de conscience, nécessaire à la reconstruction raisonnée des sciences humaines et sociales comme disciplines de réflexion et de formation. Ce qu’elles étaient à l’origine, lorsqu’elles inscrivaient leur projet de connaissance et de formation dans le cadre des humanités. C’est cet esprit et cette dynamique qui doivent et qui peuvent, démontre l’auteur, être restaurés, tout en les adaptant aux exigences de notre époque.
     Michel Freitag est le sociologue et le philosophe par excellence de la société postmodeme. On connaît peu de réflexions contemporaines qui atteignent cette cohérence et cette puissance réflexive : on croit parfois lire un Habermas dont l’inspiration serait plus hégélienne que kantienne. En dehors d’articles publiés dans La Revue du MAUSS, son œuvre est pourtant mal connue en France : cette coédition franco-québécoise permet de réparer cet oubli et de présenter au lecteur français, à partir d’une analyse aiguë de la crise de l’Université, les principaux moments d’une théorie systématique de la postmodernité.

Michel FREITAG, né en Suisse à La Chaux-de-Fond, ancien chercheur au CNRS, est depuis 1971 professeur de sociologie à l’Université du Québec à Montréal. Animateur au Québec du " Groupe d’études sur la postmodernité ", il est également le directeur de la revue Société. Outre de nombreux et importants articles, il est notamment l’auteur de Dialectique et société (L’Age d’Homme/Saint-Martin, Lausanne/Montréal, 1986).


Garantir le revenu
Histoire et actualité d'une utopie concrète
par Laurent Geffroy, 206 p., 111,51 F, 17 euros

     « Revenu garanti », « allocation universelle », « revenu de citoyenneté ». Voilà les appellations principales sous lesquelles depuis les années soixante-dix s'est fait jour une même question : est-il possible, souhaitable, et dans quelle mesure, que l'État ou la société versent un revenu indépendant d'un travail fourni ? Et à qui ? À tous, ou seulement aux plus pauvres ? À quel titre ? Cette perpective d'un revenu sans cause apparaît pour certains comme l'utopie par excellence. Peut-être, répondent ses défenseurs, mais une utopie éminemment concrète et réaliste.
      Le débat, ancien, a resurgi avec l'explosion du chômage et la crise de l'État-providence. Longtemps cantonné aux cercles intellectuels, il a gagné les mouvements de chômeurs, le monde des politiques et des hauts fonctionnaires qui lui était jusque-là hermétiquement réfractaire, pour apparaître de plus en plus comme le ferment central de la « refondatioin sociale ». Mais les dispositifs adoptés – RMI, prime pour l'emploi ou « impôt négatif » – représentent-ils un premier pas vers l'instauration d'un revenu inconditionnellement garanti ou la négation même de son esprit ?
     Sur toutes ces questions où les passions font rage, sur leur histoire et sur leur actualité, le livre de Laurent Geffroy offre un ensemble d'informations et d'analyses d'une clarté et d'une exhaustivité sans équivalent.
     
LAURENT GEFFROY, né en 1975, est allocataire de recherche et moniteur en science politique à l'université Paris-I, attaché au CACSP (Centre d'analyse comparative des systèmes politiques).